Collectif « Plomb de Notre-Dame » : sa mise en place et son action.

Résumé de l’intervention de Benoît Martin, 14 mars 2024, thème « santé au travail et environnement »

Le 15 avril 2019, l’incendie de Notre-Dame constituait un évènement de portée mondiale. La destruction partielle de ce haut lieu cultuel, architectural, culturel et touristique marquait les esprits et sidérait beaucoup de gens, tant dans la sphère religieuse que dans l’espace laïc.

Retour en arrière. En 1789, la cathédrale était mise à disposition de la Nation. En 1905, elle devenait propriété de l’État. Aujourd’hui, elle est gérée par le ministère de la Culture et par l’évêché de Paris, chacun dans ses prérogatives. C’est un lieu accueillant du public, un lieu de travail sur lequel le syndicat SNMH CGT est bien implanté.

Peu après l’incendie, des fonds étaient collectés pour la reconstruction et le général Georgelin était nommé à la tête de l’établissement public pour la reconstruction de Notre-Dame. À la suite du décès du général en 2023, Philippe Jost, ingénieur général de l’armement, lui succédait.

Lors de l’incendie, 400 tonnes de poussières de plomb ont été répandues sur le site, à ses alentours et à plusieurs kilomètres dans le sens où était orienté le vent. Trois associations ont lancé l’alerte au plomb : l’AFVS (association des familles victimes du saturnisme), l’association Henri Pézerat et Robin des bois.

Il faut bien dire que le premier réflexe syndical a été naturellement de s’inquiéter d’une perte d’activité, directe et induite, consécutive à l’incendie. Nous n’avions pas mesuré le risque d’une pollution chronique au plomb. Puis, alertée par l’AFVS et l’association Henri Pézerat en mai 2019, l’UD CGT de Paris a pris rapidement conscience du problème et de son ampleur.

Le collectif « Plomb de Notre-Dame » s’est constitué le 18 juin 2019, avec les deux associations et plusieurs structures CGT : UD de Paris, Unions Locales des 4e,5e et 6e arrondissements, plusieurs syndicats de sites proches de Notre-Dame (Préfecture de police, Hôtel Dieu, culture, petite enfance, éducation nationale, commerce, etc.).

Très vite, les associations apportaient leur expertise scientifique et juridique tandis que les syndicats organisaient des remontées de terrains et saisissaient les CHSCT et les CSE. Au-delà de la CGT d’ailleurs, puisque le secrétaire FSU du CHSCT de l’académie de Paris et les élus SUD Rail de la gare Saint-Michel nous tenaient informés. Dans le même temps, nous commencions à entrer en contact avec des habitants du quartier et cherchions à obtenir des informations sur ce qui était devenu le chantier de Notre-Dame.

Dans nos communiqués de presse, en conférence de presse et en réunion publique, nous avons expliqué la gravité de la pollution au plomb, dénoncé l’inaction des pouvoirs publics ainsi que leur opacité. Nous avons revendiqué le confinement de la cathédrale, sa décontamination, la création d’un centre de suivi sanitaire et la mise en place d’une cartographie précise de la pollution au plomb.

Non seulement nos revendications n’ont pas été satisfaites mais il a fallu saisir la CADA puis le tribunal administratif pour avoir accès au rapport de l’inspection du travail qui avait conduit à la suspension du chantier de Notre-Dame l’été 2019. Dans toute cette période, des parents d’enfants ayant eu des plombémies élevées nous ont apporté leurs témoignages.

En quelques mois, le collectif a recueilli des informations et des documents émanant des lieux d’habitation et des lieux de travail. Chantier de Notre-Dame, librairie Gibert Jeune, gare RER St Michel, 7 établissements scolaires, 3 crèches, un immeuble d’habitation dont les parties communes sont nettoyées par un salarié d’une entreprise de propreté.

Malgré nos alertes dans la presse et nos courriers adressés aux autorités publiques, malgré nos discussions avec l’ARS Île de France, nos exigences de protection des travailleurs et de la population, notamment celle des enfants, n’ont pas été entendues.

Puis la société française a été sidérée en 2020 par la pandémie de Covid, comme partout dans le monde. C’est en juin 2022 qu’une plainte a été déposée au pénal avec constitution de partie civile. Il a tout de même fallu puiser dans six codes différents pour rédiger cette plainte : code du travail, code de l’environnement, code de la santé publique, code des relations entre le public et l’administration, codes pénal et de procédure pénale. Seule l’expertise du cabinet d’avocats TTLA pouvait permettre de relever un tel défi. Maître Lafforgue complétera mon exposé. Nous pointons dans cette plainte les négligences des pouvoirs publics et peut-être de certains employeurs. Elle vise toute personne dont l’enquête révèlera l’implication pour les faits et délits.

Car le plomb est un puissant toxique, classé CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique). Personne ne peut prétendre l’ignorer. Déjà dans l’antiquité, en 225 avant notre ère, le médecin grec Nicandre de Colophon décrivait le plomb comme un poison provoquant anémie et colique. Plus près de nous, en 1919, la 4e Convention de l’OIT portait sur la protection des travailleurs face au risque du plomb. La même année, une loi en résultait en France. Notons aussi que les affections dues au plomb font l’objet du premier tableau des maladies professionnelles (RG1). Les connaissances scientifiques actuelles permettent d’affirmer que le plomb est un toxique sans seuil.

Sur le site de Notre-Dame jamais dépollué, la reconstruction se fait à l’identique, avec des centaines de tonnes de plomb pour construire la flèche et le toit. Pourtant, un matériau alternatif pouvait être employé : le zinc. Ce choix dogmatique est un vrai scandale ! Car même sans incendie, le plomb pollue. Pour preuve, en 2017 et en 2018, donc avant l’incendie, des études de la DRAC mettaient en évidence des points chauds de pollution au plomb autour de Notre-Dame. Qui en paie le coût humain ? Des travailleurs et riverains, adultes et enfants, contaminés aujourd’hui et dans le futur, mais invisibles faute de suivi médical adapté.

Je conclue en soulignant à quel point un travail associant des syndicalistes, des militants associatifs, des scientifiques, des journalistes, des juristes et des avocats permet de créer une force réelle, multidisciplinaire, dans la durée, avec beaucoup d’initiatives et des perspectives malgré la puissance des institutions auxquelles nous faisons face.