Contribution d’ASD-Pro, 13 février 2024

13 février 2024

Contribution d’ASD-Pro

Assises de la santé au travail

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Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir davantage, voici un lien vers quelques monographies que nous avons réalisées. Et un film que nous avons produit : présentation du film et sa bande annonce. Si vous souhaitez voir ce film complet faites nous le savoir (asd.risquepro@gmail.com) nous vous enverrons un lien 

Tout d’abord, qui nous sommes :

Notre association est créée en 2008, alors que beaucoup d’entreprises emblématiques doivent faire face à un nombre important de suicides, comme ce qui fut le cas à EDF dans la centrale nucléaire où travaillaient les 3 co-fondateurs (Michel Lallier, Frédérique Guillon et Dominique Huez).

Cette association prend résolument la voie de la compréhension de ce qui explique, dans le travail, une telle hécatombe.

Mais notre association est une association d’aide aux victimes ET aux Organisations : à ce titre, nous avons travaillé avec des organisations syndicales diverses, dans la fonction publique et dans le privé (France Télécom, la PJJ, Territoriale, Thalès,…). Parmi les premières sollicitations que nous avons reçues il y a eu celles des suicides du technocentre de Renault, puis de Thalès, ce qui a conduit à une collaboration avec la CGT Thalès durant quelques années.

Nous avons donc résolument ancré notre approche compréhensive à la fois sur le Travail et sur la lutte collective pour sortir de cette dangereuse spirale. C’est à ce titre que nous nous sommes inscrits dans le travail de l’Observatoire du Stress et des Mobilités Forcées, et à ce titre également, que nous nous sommes portés partie civile au procès Lombard. Mais avec notre spécificité, à savoir, notre conscience que France Télécom ne s’est pas contenté de pousser les gens au suicide, l’entreprise a également œuvré et organisé volontairement le déni que se sont vus opposer toutes les victimes, sans aucune exception.

Cependant, comme d’autres actions expérimentant des nouvelles manières pour mobiliser les syndicats et le personnel, nous avons à déplorer les limites de notre volonté d’agir. C’est donc aussi pour dépasser ces limites que nous nous sommes inscrits dans le travail et la réflexion du Collectif du 28 avril, puis de la préparation de ces Assises.

Pourquoi, faut-il accompagner les victimes et ayants droits RPS ?

Plus que toute autre atteinte à la santé, les conséquences du Travail sur la santé mentale sont volontairement invisibilisées car ces risques sont des risques organisationnels. Éviter de déclarer un pétage de câble, une tentative de suicide, un suicide, une dépression, un burn out… vise avant tout à éviter de parler des causes !

Or, comment améliorer l’organisation du travail et les conditions de travail, si on ne met pas en évidence ce qui ne va pas ?

Les atteintes à la santé mentale sont donc plus que les autres, non déclarées. Et dans ce cas, comme pour les autres AT ou MP, il appartient aux victimes et aux ayants droits de le faire. Les syndicats ne peuvent pas le faire, même s’ils sont convaincus de l’origine professionnelle d’un suicide, par exemple, seuls les ayants droits sont habilités à faire la demande de reconnaissance.

Si les syndicats ne soutiennent pas les victimes de RPS, il est donc fort à parier qu’il y aura encore moins de travailleuses et travailleurs, ou leurs ayants droits en cas de suicide, qui feront la démarche de faire valoir l’origine professionnelle de leurs atteintes.

En n’accompagnant pas les victimes de RPS, les syndicats, sans le vouloir, participent à l’invisibilisation de ces risques, alors qu’ils sont devenus majeurs dans tous les secteurs d’activité, publique et privé.

Soulignons que dans ces situations où l’employeur ne fait pas de déclaration (comme il le devrait), les victimes ou ayants droits peuvent le faire jusqu’à 2 ans après les faits.

Cela laisse donc du temps pour agir ensemble, victimes et syndicats.

Notre méthodologie :

Asd-Pro reçoit spécifiquement des demandes de travailleuses et travailleurs (ou de leurs ayants droits) ayant subi des dommages de santé mentale dont ils imputent la responsabilité au « travail ». C’est ce lien de causalité que Asd-Pro se propose d’aider à mettre en lumière et à formaliser pour le rendre recevable auprès des tribunaux compétents.

Le dispositif de « reconnaissance AT-MP » est celui qui permet d’interroger au plus près le lien entre organisation du travail et santé, de faire la démonstration éventuelle du processus causal à l’œuvre, lequel, s’il est avéré, produira des effets contraignants pour l’employeur qui aura à en supporter le coût financier (au lieu de la sécu). Surtout, ce passage d’un « cas individuel » à une situation de travail délétère, doit permettre aux acteurs sociaux de l’entreprise (les syndicats) de s’emparer de ce processus causal afin de faire de cette situation d’organisation délétère, un sujet visant la mise en place des mesures de préventions primaires qui lui correspondent.

Cette possibilité d’obtenir la prise en charge par l’employeur des dégâts liés à une OT pathogène au regard de l’intégrité physique et psychique des femmes et hommes qui travaillent, s’inscrit pleinement dans la perspective de « transformer le travail, pour transformer la société ».

Transformer le travail, c’est transformer en effet l’organisation du travail, les dispositifs utilisés pour la production, pour que celle-ci soit au service des hommes et du vivant, dès le processus de production jusqu’au produit fini et sa distribution.

Pour Asd Pro, une demande se caractérise par le fait que nous entrons dans la problématique du travail par une problématique de réparation après que le travail ait porté atteinte à la santé.

Asd Pro inscrit le récit personnel au centre de sa méthodologie d’intervention. Un récit à soutenir, dans son émergence et son élaboration.

  1. Partir du « récit »

La « conviction » est dans tous les cas le principal élément dont nous disposons pour faire exister le lien entre la détérioration de la santé mentale et le travail. Une conviction à transformer en compréhension (de ce qui ne va pas dans l’organisation de ce travail) et en démonstration convaincante pour celles et ceux qui auront à statuer sur cette demande.

Contrairement à d’autres approches compréhensives, nous ne travaillons qu’à partir du récit de celles et ceux qui nous sollicitent puisque nous travaillons « à distance ».

Il faut passer par le recueil des traces, des faits, mais aussi au sens qui leur sont donnés par nos interlocuteurs (les salarié-e-s ou leurs ayants droits).

S’intéresser à ce que les gens font, et disent de ce qu’ils font c’est à dire du sens qu’ils donnent à leurs actions et à la manière dont les organisations du travail influent sur leur point de vue.

S’intéresser au sens donné c’est recueillir des faits qui caractérisent le travail réel, et des interprétations de ces faits par les salariés en souffrance eux-mêmes, pour mieux comprendre en quoi ce travail réel, par les contraintes qu’il impose, a affecté leur santé.

Quand le salarié peut mettre en récit et rendre compte des impasses de son activité, il met en lumière pour lui-même des contradictions et des dilemmes qu’il affrontait seul dans l’isolement comme s’il s’agissait de questions personnelles sans lien avec le travail et les collègues.

  1. Reformuler

A ce moment-là, il est nécessaire de replacer ce discours dans le contexte particulier de l’entreprise (changement organisationnel, managérial, privatisation, etc..) et ce que ça a changé pour le salarié, y compris dans sa vie personnelle.

A partir de là il convient de « reformuler », co-construire la compréhension ou la mise en visibilité :

Cette « reformulation » doit être prudente au regard du risque de déstabilisation des processus défensifs professionnels, et ouverte à plusieurs explicatifs possibles. Quand un sujet « rebondit » sur la reformulation et « complète » le récit en y apportant de nouveaux éléments du côté de l’activité de travail, le travail d’élaboration peut à nouveau se déployer.

C’est aussi dans ce travail de reformulation d’une situation individuelle que la dimension collective prend toute sa place car apparaissent les causes organisationnelles de cette situation individuelle.

  1. Établir ce qui est délétère dans le travail

Retracer l’histoire de la santé, comment elle s’est dégradée, en lien avec l’histoire de l’organisation du travail:

  • Éléments du contexte professionnel actuel et passé
  • Éléments du contexte social
  1. Mettre le « vécu en évidence »
  • Contradiction entre le cadre prescrit du travail et l’organisation réelle du travail
  • Sous ou sur charge de travail punitive (ou vécue comme telle)
  • Organisation du travail sans marge de manœuvre
  • Travail intenable
  • Injonctions paradoxales
  • Tricherie ou Fraude
  • Fragilité ou Absence de coopération professionnelle
  • Absence de collectif de travail
  • Effondrement du travailler ensemble
  • Déni de la contribution professionnelle, Déni de reconnaissance professionnelle
  • Effondrement brutal d’une dynamique de reconnaissance de la contribution professionnelle
  • Organisation du travail gravement irrespectueuse
  • Vécu de maltraitance stratégique
  • Vécu de Bouc-émissaire
  • Vécu d’injustice majeure, Passif de vécu d’injustice
  • Irruption de la honte de son entreprise, de ce qu’il y fait au regard des usagers, de sa conception de la Belle ouvrage
  • Refus de pratiques professionnelles contraires à ses valeurs
  • Perte de sens du travail
  • Sentiment d’aliénation sociale
  • Effondrement du pouvoir d’agir
  • Effondrement identitaire
  • Perte de la capacité de prendre soin de sa santé
  • Harcèlement sexuel professionnel
  • Surgissement d’un harcèlement sexuel ancien, maintenu à l’écart un temps par un travailler constructeur de santé
  • Contexte de gravité d’évènements de santé touchant un membre du collectif de travail, suicide, tentative de suicide, vécu de maltraitance de collègues sans pouvoir agir (vécu d’impuissance à protéger)…
  1. Élaborer les stratégies possibles de prévention primaire, d’action sur les organisations du travail pour « que ça ne se reproduise pas » !

A partir de tous les éléments recueillis dans les 4 points précédents, mettre en évidence les facteurs de risques (Gollac) qui les ont initiés et à partir de là élaborer les actions de prévention.

  1. Processus délétère : analyse des pistes de choix et stratégie en matière ATMP 

Choisir quelle déclaration :

AT sur lieu de travail et temps de travail ; présomption d’imputabilité

AT hors lieu et temps de travail où il faudra établir le LIEN (selon la méthode citée plus haut) en mettant en avant un FAISCEAU D’INDICES. Tout en sachant que ce lien n’a nul besoin d’être unique (surtout pour un suicide).

En cas de déclaration MP (plus difficile car absence de tableau) il faudra établir le lien direct et essentiel avec IPP de 25% minimum.

Les RPS ne sont pas des risques comme les autres

Si les « risques psychosociaux » s’intègrent dans le schéma classique des risques professionnels, ils s’en distinguent pourtant fondamentalement quand il s’agit de mettre en œuvre la prévention (c’est-à-dire l’action sur les organisations).

Il convient d’ajouter qu’aujourd’hui la « gestion des risques psychosociaux » par le patronat est devenue une dimension essentielle des organisations du travail. Cette gestion (et non la prévention) est la composante directrice du triptyque managérial : Individualiser-Intensifier-Instrumentaliser.

Force est de constater aujourd’hui que l’évaluation « a priori » des risques dans le schéma classique de l’identification des dangers et facteurs de risques, ne fonctionne pas pour ce qui est des RPS. Le constat est indiscutable !

Depuis la publication du rapport Gollac en 2011 ce sont des milliers de publications, de recherches, de recherches-action, de colloques, de « journées d’études », de « guides » (de l’iNRS, de l’OPPBTP, de la CARSAT ou autres), les grandes entreprises et administrations y vont de leurs « guides », de leurs méthodes, de leurs groupes de travail etc.., des milliers de formations dans les syndicats et par les cabinets agréés, ont été organisées….

Et pourtant les pathologies, les suicides et les inaptitudes liés aux RPS ne cessent d’augmenter de façon exponentielle malgré le déni constant des employeurs et la sous déclaration et sous reconnaissance ATMP, le nombre de suicides en lien potentiel avec le travail atteint des sommets astronomiques (entre 900 et 1300 /an).

L’identification a priori des RPS ne fonctionne pas

La plupart de ces méthodes se fondent sur des questionnaires cherchant à identifier les « facteurs de risques « Gollac », d’autres complètent cette recherche par questionnaires avec des méthodes plus participatives par unité de travail et cherchant à mieux appréhender le « travail réel », d’autres encore vont procéder à des analyses pluridisciplinaires plus approfondies (Renault) ……….

Si ces actions se distinguent parfois, elles ont en commun qu’elles se fondent absolument toutes sur un modèle de prévention basée sur l’évaluation « a priori » des facteurs de risques. C’est-à-dire sur des effets psychopathologiques « probables », reprenant ainsi le schéma « classique » de la prévention dite primaire (et qui dans les faits « réels » se limite essentiellement d’ailleurs à de la prévention secondaire ou à des placébos – QVT et N°verts, gestion du stress etc…) !

Prendre en compte les effets avérés

Nous, nous pensons que la prévention primaire dans le domaine des RPS, c’est-à-dire l’action sur les organisations, ne peut se déployer efficacement que par l’analyse des effets avérés, et qu’il est du ressort des syndicats de donner une dimension collective à partir de ces situations que le patronat qualifie de « cas individuels » : c’est là que se situe l’enjeu.

Certes, nous savons bien que l’identification a priori, quand elle est réalisée par les syndicalistes, n’aboutit généralement pas à ce type de « prévention ». L’identification a priori, quand il s’agit d’analyser l’existant, ne se s’oppose pas à l’analyse a posteriori : les deux « méthodes » se complètent plutôt qu’elles ne s’opposent, à condition toutefois que l’analyse a posteriori soit bien réalisée avec la volonté de sortir d’une psychologisation de la situation au profit d’une compréhension du caractère délétère de l’organisation au sein de laquelle travaille la victime.

De fait, notre travail militant et associatif dans ce domaine nous a montré que :

  • Connaitre le travail réel est indispensable ; mais cette connaissance ne suffira pas à voir en quoi il affecte la santé. Seule la clinique du travail (méthodologie citée plus haut) à partir d’une situation de souffrance ou de décompensation permettra cette compréhension parce que les victimes, dans leur volonté de reconnaissance, se trouvent alors « désaliénées » de leurs stratégies de défenses.
  • Croire ou penser que seule la prévention primaire basée sur l’évaluation « a priori » sera de nature à juguler le problème et considérer que partir des « effets avérés » (donc des pathologies) ne serait qu’une question médicale et ne concernerait que l’indemnisation ATMP ; c’est ignorer la spécificité des RPS.
  • Croire ou penser que partir de l’analyse d’une situation d’atteinte à la santé psychique d’un salarié pour identifier les « facteurs de risques » qui en sont à l’origine constituerait une approche individuelle des risques, c’est ignorer la spécificité des RPS (« ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés »)
  • Croire ou penser que la distinction serait nette entre certains effets et certaines causes, ou entre certains risques et certains effets c’est ignorer la spécificité des RPS, car dans ce domaine certains effets peuvent aussi devenir des causes ou des risques. Tout comme certains « facteurs de risques » peuvent être aussi des effets et inversement. C’est toute la complexité des RPS.

Prendre en compte la parole de la victime ou ses ayants droits

Notre expérience et la particularité de notre approche compréhensive, et la co-construction qu’elle suppose avec la victime ou ses ayants droits nous permet de dire aujourd’hui, s’agissant des risques d’atteinte à la santé mentale, que la question n’est pas tant Primaire ou Tertiaire ? Travail réel ou travail prescrit ? mais surtout accès au Vécu de la victime, ce qui suppose que la victime soit en demande et s’engage (et pas seulement volontaire) : c’est ce que suppose toute clinique du travail, contrairement aux autres approches compréhensives qui ont besoin de la parole de celui ou celle qui travaille pour comprendre, mais qui peuvent se passer de son engagement.

Ce sont donc ces conditions que réunit Asd-pro dans chaque demande : prévention tertiaire (puisque ce sont des victimes ou ayants droits qui nous sollicitent) à partir du travail réel (car tel est notre questionnement, notre posture dans la co-construction) et à partir du vécu de la victime (un vécu qui s’exprime car la victime n’oppose plus de déni de sa souffrance, il n’y a plus de résistances, de défenses).

Quelles sont les résistances à cette approche :

Les obstacles que nous rencontrons à cette approche sont patronaux mais aussi parfois institutionnels : 

  • De la part du patronat cela « se comprend » car cette approche met en visibilité ce qu’il tient avant tout à cacher ; c’est-à-dire « les victimes » de ses organisations ; c’est la stratégie politique du déni voir les lien ici et ici (certaines entreprises ex : Aéroports de Paris, forment leurs managers à maîtriser les risques juridiques que font peser les RPS sur les entreprises et les patrons tout comme jadis le patronat de la Chimie avait rédigé un vadémécum pour entraver les reconnaissance MP des expositions à l’amiante et où on peut notamment y lire ce conseil mis en gras dans le texte: « il n’y a ici aucun état d’âme à avoir vis à vis du salarié » (voir le lien).
  • Du coté des institutions (INRS, CARSAT, IT, certains professionnels et chercheurs en santé/travail et experts …), car pour eux, la prévention relève d’une méthodologie en amont des atteintes à la santé, approche immuable qui a fait ses preuves alors que, selon eux, l’analyse des faits avérés ne relève que de la prévention tertiaire qui ne saurait remplacer la primauté de la prévention primaire et donc de l’évaluation a priori.

Mais de telles résistances viennent aussi parfois de là où on ne les attend pas forcément, c’est-à-dire des syndicats !

– d’abord une résistance à la question du « périmètre » de l’action : il est difficile de faire bouger les « structures » syndicales sur le périmètre de l’action syndicale, alors que pourtant, la sous-traitance et l’intérim, la coexistence de multiples statuts au sein d’une même entreprise empoisonne le syndicalisme de longue date. Cette question prend aujourd’hui une dimension nouvelle dans les services publics et les administrations où se côtoient agents fonctionnaires, contractuels et agents relevant du privé et où les principaux responsables syndicaux sont encore bien souvent des fonctionnaires qui ne maîtrisent pas toujours les règles ATMP de la sécurité sociale.

– la seconde résistance concerne la question de la santé au travail : ce point est encore rarement prioritaire, jamais au centre de l’activité syndicale, toujours relégué à quelques militants spécialistes, mais ne faisant ni l’objet d’une réelle stratégie collective, ni l’objet d’une attention collective.

– la troisième tient au fait que les militants formés à la prévention des risques professionnels et aux « RPS », le sont essentiellement dans le schéma cité plus haut du côté des institutionnels, et ils ne voient pas l’intérêt pour leur organisation de s’engager auprès des victimes. Voire même ils le redoutent dans le cas de suicides ou tentatives de suicides, considérant que ces problèmes sont d’ordre médical et très « personnel »…

Des batailles à mener collectivement

Nous doter d’un « outil » comme l’association ASDpro, nous a permis de nous affranchir de toutes ces résistances, et ce n’est pas par hasard si notre association s’est composée, peu à peu, de militantes et militants syndicaux, de divers syndicats, mais isolé-e-s au sein de leurs structures syndicales sur ces questions de santé au travail.

Nous avons retrouvé ces résistances dans le travail réalisé avec et pour les syndicats : les militants demandeurs étaient bien en phase avec nous, et nous avons pu travailler efficacement. Mais les structures ont souvent fait obstacle à la prise en compte de l’intérêt – pourtant évident – de travailler sur ce sujet des risques d’atteinte à la santé mentale.

Il nous paraît donc important de « dé-isoler » ces militantes et militants qui, pour des raisons diverses, se lancent dans ce genre d’aventure et n’en ressortent pas indemnes. Souvent, sans soutien de leur propre syndicat.

Car c’est collectivement que doivent être menées ces batailles : l’enquête syndicale est un outil collectif pour comprendre et mettre en évidence les causes professionnelles des atteintes à la santé. La santé au travail est un sujet de mobilisation collective.

De ce point de vue, notre position rejoint celle des experts CHSCT qui se désolent du peu de prise en compte de leurs expertises par les équipes syndicales. Nous pensons que cela s’explique par le caractère inopérant de l’identification a priori de risques professionnels particuliers. Car cela ne SUFFIT pas, ni à mobiliser les salariés, ni à transformer l’organisation du travail. Le rapport de force n’y est pas.

Nous considérons donc que la prévention primaire à partir d’une identification a priori des risques est utile et indispensable mais qu’elle présente bien des limites face à un patronat puissant, et à une faible capacité à mobiliser les salariés à partir de risques « probables ». À l’inverse nous avons de multiples exemples où la mobilisation et l’action s’est réalisée à partir d’un évènement avéré (voir notre film « On lâche rien »)

Nous pensons très utile pour un syndicat de rendre visible ce que l’employeur s’efforce de masquer. Cela peut permettre de redonner confiance à des travailleuses et travailleurs qui se sentent particulièrement abandonnés, pas seulement au quotidien, mais aussi quand ils souffrent et tombent malades.

Cela peut être très utile à un syndicat qui peut, collectivement, retrouver du sens à son engagement syndical : cesser de perdre son temps à discuter à partir des ordres du jour et de l’agenda patronal loin du vécu des travailleuses et travailleurs, mais parler de ce qui se passe vraiment sur le terrain.

Beaucoup de syndicalistes sont mal à l’aise dans un tel contexte de déconnexion du syndicat vis-à-vis des travailleurs, ils voient mal à quoi sert leur engagement, et se sentent impuissants à faire bouger les lignes et cela n’est pas sans effet délétère sur leur propre santé. En prenant en compte l’effet du travail sur la santé, par l’accompagnement des salariés (ou ayants droits en cas de décès) dans leur volonté de voir reconnue l’origine professionnelle de leur malheur, le syndicalisme retrouve sa noblesse et sa raison d’être : faire contre poids, créer un rapport de force face à un patronat de plus en plus décomplexé…

Pour conclure : ce que nous disent toutes les victimes ou ayants droits

Toutes les demandes ont une seule raison d’être : Plus jamais ça !

C’est la raison profonde des sollicitations que nous recevons, qu’il s’agisse de victimes ou de leurs ayants droits. Certes, ils réclament « justice et réparation », mais surtout ils agissent pour que cela ne se reproduise pas.

C’est le sens de l’engagement dont nous parlons.

Ne pas accompagner les victimes ou ayants droits, c’est donc passer à côté de cette volonté et cet engagement.

C’est aussi ce qui explique que peu de victimes sont dans ces processus, car pour beaucoup, l’idée est plutôt de « tourner la page », donc dans une posture individuelle. Sauver sa vie, sa peau.

Les victimes qui s’engagent à faire valoir l’origine professionnelle de leurs souffrances, sont des personnes engagées à la transformation du travail.

Qu’un syndicat affiche sa volonté d’accompagner les victimes est un ENCOURAGEMENT à cet engagement. Mais s’il affiche un refus, c’est à l’inverse, un découragement.